Ecrit par : Avocats Picovschi
SOMMAIRE
Le maître d'ouvrage conclut un contrat de louage d'ouvrage avec une entreprise, un contrat de maîtrise d'œuvre avec un architecte. La réalisation des travaux s'avère calamiteuse, le chantier ne se déroule pas comme annoncé et les désordres sont multiples. Le maître d'ouvrage est désemparé et ne sait à quel saint se vouer afin de trouver un remède à sa situation. Le constructeur estime avoir fait le nécessaire et justifie d'un comportement diligent. Il a pourtant fait appel à des sous-traitants qui ont œuvré sur le chantier sous la direction d'un maître d'œuvre.
Ces rapports contractuels multiples rendent la matière des plus délicates et invitent le maître d'ouvrage à prendre des précautions élémentaires dès la survenance du ou des désordres.
Constituer un dossier
Il est important de réunir des pièces qui permettent de retracer la chronologie des évènements passés et de déterminer la problématique juridique, à savoir le contrat de construction, les marchés de travaux, les devis, les factures, procès-verbal de réception des travaux, liste des réserves éventuelles, constat de levée de réserves, constat d'huissier, photographies des désordres.
Il faut encore collecter celles permettant d'identifier l'entreprise de construction, ses sous-traitants le cas échéant, le maître d'œuvre, les assureurs de ces derniers …
Le dossier est fin prêt et il sera communiqué à l'assureur qui le requiert.
Comment ces pièces seront-elles appréhendées par ce dernier ?
Dommages survenant après réception de l'ouvrage
En premier lieu, l'assureur se demandera si l'ouvrage a été réceptionné car cette réception est la condition sine qua non de la mise en jeu de la responsabilité décennale du constructeur défaillant.
A cet effet, un procès-verbal de réception doit être signé entre le maître d'ouvrage et le ou les constructeurs en la présence de l'architecte (si ce dernier a été missionné).
Ces ouvrages peuvent aussi avoir fait l'objet d'une réception tacite lorsque le maître d'ouvrage a pu entrer en possession des lieux sans qu'un procès-verbal n'ait été dressé. Le maître d'ouvrage doit alors s'employer à réunir le plus de preuves possible afin de justifier du contexte et de la date de la prise de possession (les justificatifs de la date de fin de travaux, de celle du paiement du prix, les échanges de correspondances…). En effet il est des désordres qui ne se manifestent qu'après la réception.
Le législateur a estimé que dans les cas où ces derniers compromettaient la solidité ou affectaient la destination de l'ouvrage, le maître d'ouvrage devait être en droit de se prévaloir d'un régime juridique favorable.
Régime protecteur
Les dispositions de l'article 1792 et suivants du Code civil ont mis en place un système de responsabilité de plein droit qui profite au maître d'ouvrage dès lors que les dommages ont atteint la condition de gravité et qu'ils surviennent dans le délai de dix ans à compter de la réception.
Dans ce régime juridique, le maître d'ouvrage n'a pas besoin de prouver la faute du constructeur. Il suffit qu'il démontre que l'ouvrage est réceptionné, que le dommage était caché à cette date et qu'il ne s'est révélé que dans le délai de dix ans à compter de ladite réception. Il faut encore que ce dommage compromette la solidité de l'ouvrage ou en affecte la destination.
Ce sont généralement des dommages qui affectent le clos et/ou le couvert ou qui font obstacle à ce que l'ouvrage puisse être utilisé normalement. Ou bien encore, ce sont des dommages qui, bien que de moindre importance, se généralisent et donc ont vocation à s'aggraver, de sorte que l'utilisation normale de l'ouvrage ne s'en trouve pas moins affectée.
Si ces dommages répondent à ces conditions légales, ils sont de nature à relever de la responsabilité décennale du constructeur et sont normalement pris en charge par l'assureur de responsabilité décennale de ce dernier.
Le constructeur a l'obligation de souscrire une assurance de responsabilité civile décennale qui a pour objet la garantie des désordres qui relèvent de la responsabilité de plein droit des acteurs du bâtiment.
Le maître d'ouvrage a tout intérêt à signaler la survenance du sinistre à son constructeur et à l'inviter à régulariser une déclaration de sinistre auprès de l'assurance de ce dernier c'est-à-dire celui auprès duquel a été souscrite une police d'assurance au jour de l'ouverture du chantier (la DROC).
Et, le maître d'œuvre - s'il en a été désigné un par les maîtres d'ouvrage pour surveiller l'exécution des travaux et/ou les assister lors de la réception - a l'obligation de vérifier que l'entreprise générale missionnée et dont le choix a été avalisé par ses soins, justifie bien d'une assurance de responsabilité civile décennale au jour de l'ouverture du chantier.
Sinistre et rôle de l'assureur
L'assureur saisi par la déclaration de sinistre régularisée par l'entreprise de construction, ouvre un dossier sinistre et désigne un expert-conseil dont la mission sera de décrire les désordres, d'en déterminer l'origine, de préconiser les travaux de réparation et d'évaluer un chiffrage prévisionnel.
Il est des cas où les travaux sont importants et la loi oblige le maître d'ouvrage à souscrire une assurance dommages-ouvrage. Il s'agit d'une assurance de préfinancement des travaux qui permet au maître d'ouvrage d'obtenir le préfinancement des travaux de réparation avant tout débat entre les différents acteurs de la construction et de leurs assureurs respectifs sur les responsabilités encourues. Cet assureur dommages-ouvrage dispose ensuite d'un recours contre les constructeurs et leurs assureurs respectifs dont la responsabilité aura été établie judiciairement.
Le maître d'ouvrage régularise alors une déclaration de sinistre auprès de son assureur dommages-ouvrage dès la survenance du sinistre.
L'expertise dommages-ouvrage
Cet assureur commet un expert "dommages-ouvrage" qui convoque l'entreprise de construction. Il arrive que cet expert intervienne aussi pour le compte de l'assureur de responsabilité décennale. Il en est ainsi lorsque l'assureur dommages-ouvrage et l'assureur de responsabilité décennale de l'entreprise se sont accordées pour qu'il intervienne au titre des deux polices d'assurance.
L'expertise dommages-ouvrage est une étape importante dans la prise en charge du sinistre car elle permet au maître d'ouvrage de se voir proposer un préfinancement qui permettra le plus souvent - s'il est accepté par le maître d'ouvrage - d'éviter une accumulation des préjudices immatériels consécutifs.
L'expert dommages-ouvrage organisera des réunions sur le site et interrogera l'entreprise ainsi que le maître d'ouvrage afin de réunir un maximum d'éléments.
L'expert dommages-ouvrage constatera les désordres, déterminera leurs origines et proposera une solution réparatoire à partir des devis produits.
Il établira un rapport qu'il transmettra à la compagnie d'assurance - ainsi qu'au maître d'ouvrage - sur la base duquel la première prendra position dans un délai légal sur la garantie de préfinancement (est-elle ou pas accordée ?) et sur le montant des travaux à préfinancer.
Le maître d'ouvrage formulera son acceptation ou son refus par écrit à l'adresse de son assureur "dommages-ouvrage".
S'il se heurte à un refus de préfinancement par ledit assureur ou si le montant proposé est perçu comme insuffisant au regard de l'importance des travaux réparatoires à envisager, le maître d'ouvrage a tout lieu de saisir un avocat afin d'engager une procédure en référé-expertise.
Justice et référé-expertise
Le référé expertise est une procédure qui consiste à saisir le Président du Tribunal de grande instance du lieu de situation de l'ouvrage à expertiser, afin de lui exposer les raisons pour lesquelles il est nécessaire de nommer un expert qui sera habilité judiciairement à constater les désordres, les décrire, en déterminer les origines, préconiser les travaux de reprise, chiffrer les préjudices et au besoin, faire le compte entre les parties (si le solde du prix des travaux reste impayé, par exemple).
Il s'agit d'un expert désigné par le Tribunal - et non par les assureurs - qui est chargé de convoquer les constructeurs et les assureurs à des réunions contradictoires.
Au cours de cette expertise, les avocats formulent des observations écrites qui seront diffusées par voie de "dires" à l'adresse de l'expert et de chacune des parties. L'expert sera tenu d'y répondre en annexe à son rapport définitif qu'il devra déposer au greffe de la juridiction qui l'a désigné et qui pourra être ensuite utilisé comme un élément de preuve devant le Tribunal de nouveau saisi afin de rendre un jugement sur le fond.
A chaque étape de la procédure, l'intervention d'un avocat est donc nécessaire car c'est dès la phase de l'expertise judiciaire, que se profile la stratégie en demande du maître d'ouvrage qui a subi le sinistre ou que s'anticipe la défense du constructeur voire de son assureur lorsque les intérêts de ces derniers convergent.